Hôpital Public : crises et solutions sont systémiques !
Notre système de santé connaît une crise généralisée. Elle touche non seulement l’hôpital public, « épicentre » de notre modèle depuis les ordonnances Debré de 1958, mais aussi tous les secteurs du soi, depuis la recherche médicale jusqu’aux industries de santé. Pour espérer sortir « maintenant » de la crise, il faut une réforme systémique.
Partager le diagnostic d’une crise systémique
La prise de pouvoir effective de l’administration dans toute l’organisation du soin, générant une surcharge administrative dans tous les secteurs, est une des causes majeures de la désertification médicale en ville, de la démédicalisation des Ehpad et de la hausse des taux de vacances de postes de soignants à l’hôpital. A cette démédicalisation de la gouvernance s’ajoute le centralisme de l’Etat sanitaire qui dépossède les soignants de leur capacité d’organisation des soins, là aussi dans tous les secteurs. Ce sont donc les logiques comptable et normative qui l’emportent sur celles de la compétence, de l’expérience et de l’innovation.
A cela s’ajoute un cloisonnement historique des soins : chaque secteur a une gouvernance différente, l’Etat pour l’hôpital, l’assurance maladie pour la ville et une nébuleuse d’acteurs pour le médico-social. Ce cloisonnement résulte d’une gestion de la santé qui s’est faite au XXème siècle à partir de l’offre pour médicaliser les territoires, et qui doit se faire au XXIème siècle à partir de la demande pour agir sur le maintien en bonne santé, réduire les inégalités sociales de santé et intégrer les aspirations individuelles.
L’hôpital public souffre aussi des failles structurelles et politiques de notre santé publique (une approche qui dépasse le soin curatif individuel pour intégrer la santé populationnelle et préventive) depuis des décennies. Les inégalités sociales de santé sont indécentes (13 ans d’écart d’espérance de vie entre les 5% les plus pauvres et les 5% les plus aisés). L’absence de gestion politique de la santé publique (pas d’objectifs, pas d’évaluation, pas de corrections) place toutes les structures de soins face une pression croissante de la demande de soins de pathologies chroniques dont le vieillissement en mauvaise santé de la population ne fait qu’aggraver les effets de façon exponentielle. C’est le résultat d’une stratégie de santé uniquement basée sur le soin, sans intervenir efficacement sur le maintien en bonne santé (en amont du risque).
Débattre d’une refonte systémique
Un large débat démocratique doit s’installer sur la mise en place d’un nouveau modèle de santé. Comment intégrer la santé globale (la santé des bien-portants comme celle des malades, la santé environnementale) et pas seulement le soin dans ce nouveau modèle ? Comment gérer le système à partir des besoins de santé de la population et pas à partir de l’offre de soins ? Comment démocratiser la santé pour en faire l’affaire de chacun (notamment par l’éducation à la santé et un système de gouvernance de démocratie participative) d’une part et un domaine d’application réussie de la justice sociale (en différenciant les prises en charge selon les capacités individuelles) d’autre part ?
Pour y répondre, l’hôpital public doit s’inscrire dans un service public territorial de santé, étendu à tous les secteurs et délivré par le secteur public et le secteur privé, qui se substituera au service public hospitalier actuel. Dans ce nouvel ensemble, la fonction publique hospitalière comme l’hôpital public conserveront une place forte et des spécificités mais en y intégrant des évolutions significatives imposant de revisiter les ordonnances Debré, notamment le plein-temps hospitalier et le statut des Professeurs.
Un investissement massif dans les soins de santé primaires, visant à densifier et à moderniser le réseau des professionnels médicaux, paramédicaux et sociaux de premier recours est le moyen le plus inclusif, le plus équitable et le plus économique pour améliorer l’état de santé de la population.
Outre la gouvernance et les modes de paiement de l’hôpital qui sont à réformer, le nouveau service public étendu implique de repenser la gestion des carrières professionnelles des salariés de la fonction publique qui doivent être plus diversifiées et évolutives dans le temps, en phase avec les aspirations individuelles concernant le temps de travail, le lieu d’exercice et le contenu des missions. Le statut des Professeurs (avec une double appartenance à l’Université et à l’hôpital) sensé faire de certains médecins, en même temps, de grands chercheurs, de grands enseignants et de grands soignants est en décalage avec une réalité qui impose de se concentrer sur deux de ces activités pour la grande majorité, qui peuvent évoluer au cours d’une carrière selon le choix des personnes.
La gouvernance de l’hôpital doit être unifiée avec celle des autres secteurs du soin dans une instance démocratique autour d’une assurance maladie réorganisée dans ses structures de gouvernance et dans sa relation conventionnelle avec les professionnels de santé. Le paritarisme des caisses est à élargir à d’autres corps intermédiaires que les seuls syndicats salariés et patronaux.
L’hôpital public ne sera pas sauvé par une énième réforme de l’hôpital mais par un changement systémique : l’Etat définit une stratégie nationale de santé, fait voter une loi de programmation sanitaire à 5 ans et délègue à cette instance démocratique. La gestion décentralisée aux régions des infrastructures hospitalières et l’autonomie effective de chaque établissement au sein de son territoire de santé sont des ingrédients essentiels de la refondation.
Cette réforme exige de débattre entre tous les acteurs du système des thèmes structurants comme ceux de la future sécu, du rôle de l’Etat, de la démocratie sociale et sanitaire, de l’organisation des parcours de soins… La majorité des acteurs y sont prêts.
Il reste à y impliquer le politique. Voici donc déjà un sujet de consensus entre tous, mettre la santé au cœur de la Présidentielle 2022.
En gardant en mémoire la phrase de Robert Debré : « il faut un diagnostic juste si on veut des remèdes appropriés ».
Frédéric Bizard, Professeur d’économie, ESCP, Président de l’Institut Santé
René Frydman, Gynécologue-Obstétricien, Professeur des Universités
Olivier Saint-Lary, Médecin généraliste, Professeur des Universités, Président du CNGE