L’Assurance Maladie a vécu, vive l’Assurance Santé !
Publié dans le Journal du dimanche le 11 décembre 2022
Notre système de solidarité nationale, la sécurité sociale, a 77 ans d’âge. Les bienfaits introduits par ce dispositif sont reconnus par tous et ses « pères fondateurs », en particulier Ambroise Croizat, Pierre Laroque et Alexandre Parodi, recueillent la reconnaissance de la nation et de tous les Français. Initialement centrée sur le travail, sa généralisation — prévue d’emblée — s’est installée progressivement et diverses autres modifications ont été apportées au fil des décennies.
L’assurance-maladie est l’un des piliers majeurs de cette sécurité sociale. Son budget est important ( 244 Mrds€ en 2023, soit 40% de celui la sécu) et, régulièrement, il est en déficit (20,3 milliards d’€ en 2022). Chaque année, lors de l’examen du projet de loi de finance de la sécurité sociale (PLFSS), Gouvernement et Parlementaires corrigent certaines mesures et complètent les actions sanitaires jugées insuffisantes. Année après année, des rustines sont appliquées pour compenser les défauts de prise en charge et d’autres rustines tentent de limiter les dépenses superflues ou inopportunes.
De l’AMO à l’ASO
Il est maintenant temps de reconstruire un système adapté aux besoins et au contexte du XXIe siècle, tout en gardant les principales valeurs des « pères fondateurs ». Aujourd’hui, il ne suffit plus seulement de traiter la maladie et ses conséquences familiales mais tout autant de la prévenir. Ne soyons pas assurés uniquement d’être traités mais demandons le maintien en bonne santé. C’est le passage de l’assurance-maladie obligatoire (AMO) à l’assurance-santé obligatoire (ASO).
Dans les faits, cette transition s’est opérée à bas bruit : la prise en charge de la grossesse ou de l’IVG n’est pas une activité proprement soignante car la gestation n’est pas une pathologie. La prévention du tabagisme et celle de nombreuses maladies relève aujourd’hui de l’AMO, même si on se situe très en amont d’une pathologie. Il faut maintenant que cela soit reconnu plus fortement, encouragé et davantage financé. La France est en retard sur de nombreux pays dans les actions de prévention et de dépistage précoce. C’est à l’AMO, devenue ASO de relever ces importants défis. Il s’agit, par cette évolution, de construire un modèle solidaire et inclusif pour la santé globale.
Que l’on n’oppose pas à ce projet son coût ! Garantir la santé ce n’est pas se limiter aux soins curatifs. Ces derniers sont d’ailleurs généralement plus coûteux que les actions préventives. Ne laissons pas prétendre que la prévention oblige à d’importantes dépenses aujourd’hui, dont les bénéfices n’apparaîtront que dans des dizaines d’années. C’est ainsi que si l’arrêt du tabagisme n’est suivi qu’avec un certain retard d’une diminution des cancers du poumon, il provoque une réduction immédiate de la sur-représentation des accidents vasculaires cérébraux et cardiaques (qui relèvent d’un autre mécanisme physiopathologique).
Le dépistage, le développement de la médecine scolaire, de la médecine du travail, la protection maternelle et infantile, la prévention de la dépendance chez les personnes âgées (la longévité en bonne santé est médiocre dans notre pays), et beaucoup d’autres actions comparables sont à développer pour faire reculer l’apparition de certaines pathologies dont la prise en charge est très onéreuse lorsqu’elle est tardive.
A l’occasion de ce changement de paradigme, en cheminant vers une assurance-santé, ne serait-il pas opportun de corriger les travers, les inefficacités, les gaspillages d’un système assurantiel qui n’a pas assez été pensé globalement ?
Un assureur unique par prestation
Pour la plupart des prestations, une part des dépenses est financée par l’assurance-maladie et une autre par une complémentaire santé. Cette redondance coûte cher, en temps aux professionnels et en argent au système. Ne serait-il pas temps de définir des activités distinctes à confier à l’une ou l’autre des assurances ? « Un payeur unique pour chaque prestation ».
Bien sûr, la solidarité nationale serait alors responsable de tous les actes de grande importance pour la vie de nos concitoyens et les autres assurances couvriraient tout ce qui s’ajoute à l’essentiel. Cela implique un décroisement des responsabilités qui n’omettrait pas de réserver aux mutuelles (ou aux assurances voisines) la couverture de soins curatifs ou d’actions préventives (par exemple honoraires de praticiens non conventionnés avec la sécurité sociale, cures thermales, etc).
L’économie serait substantielle (environ 20 milliards d’€), amplifiée encore si la réduction des actes et prescriptions non pertinents était effectivement réalisée. De tels moyens, réinvestis dans la santé, contribueraient à améliorer la prévention, la santé publique (et l’ensemble de l’organisation sanitaire sur un mode plus efficace, moins complexe et moins bureaucratique).
Une architecture de financement ainsi simplifiée et plus lisible permettrait de fournir plus complètement, et à enveloppe constante, les ressources assurant la gestion globale du risque santé, à toutes les étapes de la vie. Transformer l’AMO en ASO fait de la sécu l’institution démocratique pivot de la protection de la bonne santé de tous les citoyens, réalisant dans les faits les vœux des pères fondateurs et complétant en ce sens les ordonnances d’octobre 1945.
Est-ce que cette réorganisation fondamentale du financement de notre système de santé est l’urgence du moment ? Oui, car notre système de santé est en grand péril ; oui, car son délitement inquiète considérablement les patients comme les professionnels de santé. C’est bien parce que les temps sont difficiles, comme ils l’étaient en 1945, qu’il importe de prévoir, avec détermination et courage, sa reconstruction. En commençant par son financement. En faisant participer à la réorganisation globale tous les acteurs et les usagers de ce système essentiel à la cohésion nationale.
Jean-Louis TOURAINE, Professeur émérite de médecine, Député honoraire
Frédéric BIZARD, Professeur d’économie, ESCP, Président-fondateur de l’Institut Santé