Lettre ouverte aux Parlementaires sur le Projet de loi santé
Un projet de loi santé à haut risque et qui manque sa cible en l’état
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Le projet de loi santé du Gouvernement, examiné le 12 mars 2019 à l’Assemblée Nationale, aborde la transformation de notre système de santé à partir de trois axes : la formation (titre I), l’organisation des soins (titre II) et le virage numérique (titre III).
Bien que les nouvelles modalités de sélection ne soient pas encore explicites, la restructuration de la formation médicale semble aller dans le bon sens. En revanche, le virage numérique se fera probablement encore attendre, du fait de propositions qui reprennent la stratégie d’échec empruntée depuis 15 ans.
Concernant l’organisation des soins, l’Institut Santé (1) tire la sonnette d’alarme sur certaines propositions tant les risques paraissent élevés de passer à côté de la cible de la territorialisation et d’hospitalo-centrer davantage les soins, aux dépens de toutes les parties prenantes et de l’efficience du futur système de santé.
Les dangers du renforcement des groupements hospitaliers de territoire (GHT)
Un des articles phares du projet de loi (art 10) propose de renforcer le rôle des Groupements hospitaliers de territoire (GHT) en leur donnant un pouvoir plus fort d’intégration des établissements et le pilotage des ressources humaines et du projet médical des établissements (en créant une CME de GHT).
Rappelons que les 135 GHT ont été constitués, dans la loi santé de janvier 2016, comme des nouveaux outils de coordination et de mutualisation de moyens entre établissements. Ne regroupant que des établissements publics, le rôle des GHT dans la gestion du parcours de soins des patients est limité. Les GHT ont généré une perte de repère du personnel hospitalier et un sentiment de dépossession de leur pouvoir de décision, nourrissant la crise sociale à l’hôpital.
Pilotés par les agences régionales de santé (ARS), ces nouveaux groupements fonctionnent de façon technocratique et éloignée des réalités du terrain. Leur renforcement aura le double effet d’intensifier la gestion auto-centrée de l’hôpital public d’une part et de déstabiliser plus encore le fonctionnement interne des hôpitaux d’autre part. Quelle sera la place du service, de la CME et du pôle d’activité dans chaque établissement après cette réforme ?
L’objectif central du projet de loi est pourtant de « décloisonner l’offre de soins à tous les niveaux »,Il apparait ainsi paradoxal de faire de cet outil hospitalo-centré le levier principal de la restructuration. Plutôt que de concentrer le pouvoir hospitalier dans une nouvelle gouvernance étatique infra régionale, l’Institut Santé propose de renforcer l’autonomie de gestion et de décision des établissements pour inciter à l’innovation, à la valorisation des initiatives individuelles et à la coordination avec les professionnels de santé de ville. La gouvernance interne des hôpitaux doit aussi être plus démocratique et mieux équilibrée entre l’administration et le pouvoir médical.
L’objectif de gérer la santé à partir du territoire est un miroir aux alouettes en l’état du texte
Un autre axe du projet de loi pour transformer l’offre de soins est la généralisation des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS, article 7), aussi créées par la loi 2016. L’Institut Santé partage cette orientation de gérer les besoins de santé à partir des territoires. C’est nécessaire dans une médecine du parcours (pathologies chroniques et vieillissement de la population) et dans une stratégie santé qui ne se focalise plus seulement sur le soin mais aussi sur le maintien en bonne santé avec une approche populationnelle et pas seulement individuelle.
Le projet de loi manque cependant sa cible sur ce sujet central car il ne définit ni l’unité géographique, ni la composition ni les missions de cette nouvelle gouvernance territoriale. Franchir cette étape territoriale exige de graver dans la loi ces éléments pour guider la transformation du pilotage de l’offre de santé et respecter le principe républicain d’égalité territoriale.
En l’état, les CPTS ne sont que des associations de projets de coordination menées par certains professionnels de santé sur un thème telle que l’automesure tensionnelle dans une CPTS à Paris ou les patients fragiles dans une autre du Sud Allier. 1000 projets spécifiques en 2022 dans toute la France ne feront pas du territoire le nouvel échelon de gouvernance de l’offre de santé.
L’Institut Santé propose de définir le territoire de santé à partir des bassins de vie, de concevoir une gouvernance représentative des acteurs de santé au sein de trois collèges et de définir un cœur de missions identiques (2). Le territoire deviendra ainsi le nouvel échelon géographique de gestion de la santé des citoyens pour les prochaines décennies sur lequel les professionnels de santé vont être pleinement responsabilisés et évalués pour assurer l’ensemble des prestations de santé à la population.
Lors de son audition du 28 février 2019 devant la Commission des Affaires sociales de l’Assemblée Nationale, l’Institut Santé a exprimé sa vision de la transformation du système de santé et ses observations sur le projet de loi. Des propositions concrètes d’amendement, notamment sur ce nouveau pilotage territorial de la santé, seront présentées lors de son audition devant la Commission des Affaires sociales du Sénat le 19 mars 2019.
Si le Parlement fait évoluer le projet de loi santé afin de structurer une véritable gouvernance de la santé décentralisée à l’échelle de territoires clairement définis, et établit un contrat de confiance tripartite entre les forces vives médicales de ces territoires, l’Assurance Maladie et l’Etat, une étape importante dans la transformation de notre système de santé sera alors réalisée.
Il vous reste ainsi, Mesdames et Messieurs les Parlementaires, à exercer pleinement votre pouvoir législatif pour que ce projet de loi soit un texte important dans l’adaptation de notre système de santé aux nouveaux enjeux du XXIème siècle !
L’Institut Santé
(1) L’Institut Santé est un organisme de recherche citoyen, indépendant et apolitique, dédié à la refondation du système de santé français (voir institut-sante.org)
(2) Rapport « Faire vivre l’idéal Républicain au cœur de la refondation du système de santé », Novembre 2018, Institut Santé, disponible ici
Article paru dans Les Echos du 11mars 2019