Repenser le système de santé !

Un collectif de personnalités issues du milieu médical ou de la recherche, regroupées au sein de l’Institut Santé, appelle dans une tribune au « Monde » à une réforme du système de santé afin de mieux répondre aux besoins de la population et aux crises sanitaires.

 

La réforme avortée des retraites a mis en exergue l’importance de débattre en amont de toute modification systémique touchant notre modèle social. Comme le Conseil National de la Résistance (CNR) l’a fait en 1943 à propos de la Sécurité Sociale, un large consensus citoyen sur l’impérieuse et urgente refondation de notre système de santé est indispensable. C’est l’ambition de l’Institut Santé, une initiative citoyenne, apolitique, indépendante, créée en 2018, qui vise à repenser le système de santé le plus démocratiquement possible afin d’affronter les crises du XXIe siècle. Voici quelques principes qui ont émergé de cette réflexion collective.

Simplification administrative

D’un modèle de santé centré sur l’offre de soins, le nouveau modèle sera centré sur les besoins de santé de la population et des individus. Pour permettre cela, l’unité géographique de pilotage devient le territoire de santé, regroupant quelques bassins de vie et 120 000 à 150 000 personnes. Ce territoire sanitaire se substitue à tous les autres périmètres sanitaires qui se sont multipliés ces dernières années (GHT, CPTS, APHP…), conduisant ainsi à une simplification administrative.

Ce territoire sanitaire sera le périmètre d’activité de tous les professionnels de santé, dont les missions intègrent une responsabilité territoriale sanitaire. Cette évolution induit et justifie une refonte des ordonnances Debré de 1958 (qui ont notamment créé les Centres hospitalo-universitaires et centré autour de l’hôpital l’organisation de la santé). Ce « Debré 2 » ouvrira les murs de l’hôpital, mettra fin au plein temps hospitalier systématique et accélèrera l’extension de l’enseignement et de la recherche hors de l’hôpital. Il décloisonnera la santé qui ne s’organisera plus uniquement selon la ville, l’hôpital et le médico-social mais selon le territoire et les besoins de santé des personnes qui y vivent.

Cette approche décloisonnée se fera dans le respect du libre choix des statuts salariés, libéraux ou mixtes des professionnels, qui devront, si nécessaire, être adaptés juridiquement à cette réalité territoriale. Quel que soit le statut considéré, ce nouvel horizon territorial s’accompagnera d’une plus grande diversification des carrières professionnelles pour tous les soignants. Il sera donc un levier puissant pour retrouver de l’attractivité dans tous les métiers de santé.

Démocratie sanitaire et sociale

Ces territoires seront gérés par les acteurs locaux sous forme de délégation de service public et de contrats d’objectifs et de moyens avec l’Assurance santé régionale (ex URCAM). Le principe est un engagement des professionnels de santé dans des missions qui garantisse un accès équitable à la santé dans tous les territoires, en contrepartie du respect de leur indépendance professionnelle, d’une rémunération correcte, de moyens suffisants, d’une autonomie de gestion et d‘un fonctionnement démocratique des instances de régulation.

Ainsi, l’Assurance maladie sera réformée à l’échelle nationale et régionale pour devenir une assurance santé pleinement responsable du pilotage de l’ensemble des professionnels du soin. La démocratie sanitaire et sociale sera renforcée par l’intégration de la conférence nationale de santé et d’autonomie dans son conseil d’administration à l’échelle nationale et de celle de la conférence régionale de santé et d’autonomie en région.

Cette autonomie des acteurs n’aura de sens pour les citoyens que si elle se traduit concrètement par une plus grande capacité d’action pour leur propre santé. Outre le renforcement sensible du volet prévention à l’échelle de chaque territoire, les personnes souffrant d’affections de longue durée souscriront un véritable contrat thérapeutique avec l’assurance santé et le coordinateur médical. Visant à optimiser l’alliance thérapeutique et à ajuster les moyens aux besoins de chacun, ce contrat garantira le financement à 100% des dépenses ALD et le libre choix de son médecin par le patient. L’autonomie des professionnels de santé exige aussi une revalorisation importante de leur formation continue, à sacraliser comme un droit et un devoir.

 

Ministère régalien de la Santé publique

La Covid 19 a montré que la santé pouvait être un obstacle à la liberté et à la sécurité des personnes d’une part, et les carences de notre état sanitaire d’autre part. Dans le nouveau modèle de santé, la santé publique sera considérée comme l’équivalent d’une fonction régalienne dans sa gestion politique, institutionnelle et financière. La France devra aussi être un pays précurseur d’une véritable Europe de la Santé publique.

Pour y arriver, une loi de programmation sanitaire à cinq ans fixera les objectifs de santé publique, les choix stratégiques et technologiques, mais aussi le financement nécessaire. L’Etat stratège en santé publique sera réarmé par la fusion de la pléthore d’agences actuelles dans une agence nationale de santé publique, bras armé de l’Etat sanitaire. Sa déclinaison en agences régionales de santé publique autonomes (ex ARS), étroitement associées aux Conseils régionaux dont la responsabilité sanitaire sera amplifiée, garantira une efficacité opérationnelle et un contre-pouvoir démocratique.

Le poids politique du Ministère de la santé (12ème sur 15 aujourd’hui) sera alors renforcé pour en faire un Ministère régalien de santé publique, doté d’un secrétariat à la santé publique disposant d’un pouvoir interministériel et rattaché au Ministre de la santé et à Matignon. Cet état sanitaire fortifié viendra appuyer les actions des professionnels dans les territoires, par une évaluation des besoins et des actions de santé, et par des ressources humaines de santé publique suffisantes pour protéger les populations des risques sanitaires (environnement, épidémie…), en complément des soignants.

Ce nouveau modèle est actuellement âprement débattu dans des conférences de consensus. Elles ont déjà réuni des associations de patients et des professionnels de santé, des parlementaires et des responsables de collectivités territoriales de toutes les sensibilités politiques.

A ceux qui pensent que la crise empêche de voir loin, rappelons que le programme fondateur de la Sécurité sociale, « les jours heureux du CNR », a été conçu en 1943-1944. Pour retrouver des jours heureux après la crise Covid, nous devons repenser le bien-être en société du monde de demain. Reconstruire un système de santé performant est une condition incontournable pour y réussir. Comme en 1943 avec le modèle social d’après-guerre, repenser la santé aujourd’hui est bien le gage d’une société solidaire demain.

 

Thierry Amouroux, Porte-parole du Syndicat National des Professionnels Infirmiers SNPI CFE-CGC

Catherine Audard, Philosophe, London School of Economics, spécialiste des questions de justice sociale

Jean-Marc Ayoubi, Chef de service de gynécologie-Obstétrique hôpital Foch, Professeur à la faculté de médecine de l’UVSQ

Perle Bagot, Directrice associée au Hub Institute (nouvelles technologies)

Evelyne Bersier, Docteur en droit de la santé, Membre de la chaire Education santé de l’UNESCO

Frédéric Bizard, Professeur d’économie, ESCP, Président de L’Institut Santé ;

Pierre-Henri Bréchat, Médecin spécialiste en Santé Publique et en Médecine Sociale

Eric Campion, Chirurgien-dentiste

Alain Coulomb, ancien directeur de la Haute Autorité de santé

Philippe Cuq, Chirurgien, Co-Président du Bloc

Florence de Rohan-Chabot, Psychiatre, Praticien Hospitalier

Christelle Galvez, Directrice des soins, Centre Léon Bérard à Lyon

Benoit Godiart, Enseignant agrégé en sciences médico-sociales, Université Savoie Mont-Blanc

Alain Deloche, Professeur de chirurgie, co-fondateur de « Médecins du monde », fondateur de l’association « La Chaîne de l’espoir » ;

René Frydman, Gynécologue-Obstétricien, Professeur des Universités

Richard Hasselmann, Président de Libr’acteurs, Administrateur de l’Institut Santé

Hubert Johanet, Chirurgien, Secrétaire Général de l’Académie Nationale de Chirurgie

Nathalie Kerjean-Pons, Pharmacien Hospitalier, chef de service AP-HP ; Administratrice de l’Institut Santé

Laurent Lantiéri, Professeur à l’Université René Descartes, Chirurgien Plasticien, APHP

Philippe Marre, Chirurgien, Vice-Président de l’Académie Nationale de Chirurgie

Jean-Philippe Masson, Radiologue, Président de la FNMR

Jérôme Marty, Médecin généraliste, Président de l’UFML-S

Nada Nadif, Consultante en management de la santé

Patrick Négaret, Directeur général de la CPAM des Yvelines

Patricia Paterlini-Bréchot, Professeure de biologie cellulaire et d’oncologie à la faculté de médecine Necker-Enfants Malades   

Patrick Pelloux, Médecin urgentiste, Président de l’Association des médecins urgentistes de France

Maxence Pithon, Médecin généraliste, ancien Président de l’Isnar-Img

Christophe Prudhomme, médecin urgentiste, Porte-parole de l’Association des médecins urgentistes de France (AMUF)

Michael Riahi, Médecin Généraliste, Vice-Président les Généralistes- CSMF

François Richard, Chirurgien membre de l’Académie Nationale de médecine et de l’académie nationale de chirurgie

Olivier Saint-Lary, Médecin généraliste, Professeur des Universités, Président du Collège National des Généralistes enseignants (CNGE)

Philippe Sansonetti, Professeur au Collège de France, Chercheur à l’Institut Pasteur et à l’INSERM

Michel Tsimaratos, Professeur de médecine, Chef de service, APHM

 

Tribune parue dans Le Monde du 5 janvier 2021